On va essayer d'être plus explicite sur mon courroux devant la situation actuelle du marché des primeurs 2009. Pour ceux qui lisent ce blog réguièrement, vous savez que depuis longtemps j'ai un
respect pour cause de vérité pour la loi fondamentale de l'offre et de la demande. Il n'y a là-dedans aucune once de morale à intégrer sous peine de déviations sans beaucoup d'intérêts sur le
plan de l'efficacité des raisonnements.
Plusieurs points doivent être abordés, explicités, discutés.
LE CAS DES 8 GRANDS : Les "premiers classés" (5) + Cheval-Blanc, Ausone, Petrus.
Ce sont là des marques dont la valeur n'a plus grand chose à voir avec le contenu, aussi bon soit-il. Vu la faible quantité totale de bouteilles que cela représente, il y a suffisamment de
riches et de nouveaux riches qui ont besoin d'assoir leur image en mettant sur table ce qui est exceptionnel… et le monde leur dit et redit que ces vins là le sont. En sus, dans le cas de
Lafite-Rothschild, l'Asie développe pour cette étiquette un amour immodéré qui fait qu'on peut sans trop de crainte, aller au bout d'un raisonnement : l'on dira qu'il y aura toujours un riche
capable de payer ce vin plus cher que vous ne l'avez acheté. On est ici avec les Vuitton, les Bréguet, les Vacheron et autres Hermès. Un autre monde où nos raisonnements d'amateurs de vins ne
peuvent plus assoir la vérite basique: un vin est fait pour être bu.
LE CAS D'UNE CINQUANTAINE DE CRUS "SUIVEURS".
Chacun sait quels crus entrent dans cette catégorie :
- la plupart des seconds et quelques autres classés comme, depuis peu, Pontet-Canet
- les vins de "garage" ou assimilés comme Lafleur, Le Pin, L'Eglise Clinet, La Mondotte
- les plus beaux crus classés de saint-émilion et pomerol comme Pavie et les beaux noms de ces deux appellations de prestige dont les petits volumes de production leur permettent une montée
tarifaire portée par les belles notes de Robert Parker.
Soyons clairs : ces vins ne sont guère abordables dans ce millésime 2009 - à ce jour, en achat primeurs - pour les amateurs européens et pour bien des amateurs américains. Je parle là des gens
qui boivent le vin, en connaissent d'autres, et sont moins sensibles à l'étiquette que d'autres qui gardent toujours en tête la possibilité de plus-values, disposés qu'ils sont à les revendre
éventuellement.
Là, s'il est évident que la loi de l'offre et la demande telle qu'elle se définit en ce moment ne peut que les pousser à demander des prix très éloignés d'un produit dont le but est d'être
consommé, on ne peut que dire à ces producteurs qu'ils prennent le risque, réel, de trouver dans un futur proche une désaffection qui, fatalement, se paiera un jour ou l'autre. C'est là-dessus
que je m'énerve un tantinet, sur cette courte vue du profit immédiat ou cette adrénaline de lancer un prix au-delà de leurs plus folles expectations d'il y a seulement quelques mois, aux dépens
d'une image, déjà passablement écornée et qui va pour beaucoup, se ternir pour longtemps.
Un jour qui arrivera plus vite qu'on ne le pense, quand les acheteurs asiatiques comprendront à quel point ils se sont fait rouler par une image de ces vins violemment rejetée par nous, en
Europe, quand ils constateront que ces vins ne peuvent plus être à la carte des grands restaurants : ils se poseront des questions. Ajoutez à cela le risque croissant de mise sur des marchés
parallèles de copies parfaitement imitées. Ajoutez aussi le fait que les "très riches", quand ils vont voir que les "riches" mettent sur table les mêmes noms que eux, vont fatalement chercher
d'autres noms à pousser du col : Mouton sera bien placé sur cette liste, comme Ausone ou Cheval Blanc, sans oublier Haut-Brion.
Et je n'évoque même pas le transfert des plus pointus qui se fera sur la Bourgogne ou le Rhône ou l'Italie. Il y a là des gens dans les starting-boxes !
Bref :pour ces cinquante noms connus qui ont osé des augmentations à deux chiffres par rapport à leur valeur du 2005, on a le droit de penser qu'ils vont vivre une période bizarre où,
finalement, il y aura très peu d'élus qui rejoindront les 8 et beaucoup qui connaîtront des jours bien plus gris. Ce ne sera qu'une question de temps.
Oui, je sais, comme me l'a dit à plusieurs reprises un propriétaire de cru classé: "ce qui est bon à prendre, je prends!" OK, mais assumez alors le
risque réel que vous portez sur votre image. Attendez vous à ce que la presse du vin, même si c'est vous qui la financez par vos pubs, soit moins indulgente avec la qualité de vos crus. Les
critiques seront probablement plus acides. Quant à nous, au GJE où personne de Bordeaux ne fait nos fins de mois, nous continuerons placidement nos dégustations à l'aveugle avec une mise en
avant de classements RQP (Rapport Qualité-Prix).
QUELQUES CAS DE DOMAINES SAGES
Plus que jamais, c'est de notre devoir de lister, de faire connaître aux amateurs, ceux qui boivent le vin, les crus qui n'ont pas cédé aux sirènes de l'argent facile et qui ont fait très bon.
Il y en a, et beaucoup plus qu'on ne le pense, qui arriveront chez le consommateur final à un prix TTC inférieur à € 30/40. Il faudra qu'on arrête de parler d'icônes qui, in fine, se moquent
gentiment de nous, et mettre en avant ces vins magnifiques dont le nom ne sonne pas encore parmi les vedettes.
A nous de communiquer sur ces Châteaux, ces Domaines qui ne vous donneront jamais un coup au coeur quand vous les mettrez sur table, face à leur valeur vénale. Et on doit parler alors non
seulement de Bordeaux, mais aussi des Bourgogne, Beaujolais, Loire, Alsace, Languedoc-Roussillon, Suisse, Italie, Allemagne, Autriche, Espagne. Bon sang de bonsoir : il y a quand même d'autres
vins à considérer à côté de l'énorme machine bordelaise !
Que l'amateur suive les blogs informatifs, les forums comme LPV, les revues comme Le Rouge et le Blanc et les découvertes des "petits" vins dénichés par Bettane-Desseauve et les "sleepers" de
Parker.
QUELQUES NOMS
Que l'amateur déguste les Marionnet, les Burgaud, les Taupenot-Merme, sans oublier le cru qui est probablement à Bordeaux le meilleur RQP : Les Grands
Chênes qui, pour la décennie à venir, va prendre la place occupée dans la décennie 90 par Sociando-Mallet.
Et qu'il lise les notes de Burtschy ou de Perrin sur bien des crus conseillés par Stéphane Derenoncourt qui sont restés à prix "corrects". Ce n'est pas Haut-Carles, déjà un grand nom, qui a
poussé le cochonnet trop loin. Ce n'est pas Château d'Aiguilhe qui cause du courroux, et il est si bon ! Vous avez des dizaines de noms en Fronsac, en Médoc, en Graves, en Bordeaux Supérieur
qui méritent votre attention.
Alors, n'allez pas m'accuser de tout mettre dans le même panier ! Ce qui est malheureux, c'est que cette détérioration d'image à Bordeaux causée directement par quelques noms qu'on ne pourra
plus acheter va se répercuter sur d'autres, comme la désastreuse image du beaujolais pénalise tant les Bouland, Coudert, Burgaux et Janin
dont les crus sont de véritables cadeaux !
C'est cela l'objet du courroux de ces deux billets : que bien trop de propriétés ont donné une préférence éhontée à un profit immédiat qui ne peut que
dévaluer pour quelques temps une image déjà passablement ternie. Enlever au vin sa dimension passionnelle pour n'en faire qu'un produit financier est et restera une erreur, une
faute.
Ma foi, qu'ils assument leurs décisions. Je reste convaincu qu'on retrouvera beaucoup de ces vins au même prix ou même moins chers d'ici
quelques années, quand ces vins seront re-dégustés, quand les fonds spéculatifs voudront les revendre (à qui ?), quand la GD les distribuera (si elle le fait) quand les autres régions auront su
faire connaître leurs propres crus, à prix plus cohérent avec le but final de ce produit "vin" :
Etre et rester un produit de consommation qui, sur table, en belle convivialité, ne vous oblige pas d'en parler en termes financiers.
Réfléchissez à un seul point : quels sont les propriétaires de grands vins qui vont acheter à d'autres domaines des primeurs à plus de € 100 HT ?
J'avoue ne pas en connaître beaucoup. Oui, ça fait réfléchir.